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Au-delà du mur : Histoire de la RDA / Katja Hoyer
Livre
Edité par Passés Composés. Paris Cedex 14 - 2025
En 1990, un pays a disparu. Lorsque le rideau bombé, l'Allemagne de l'Est a tout simplement cessé d'exister et son souvenir s'est progressivement dissipé. Pendant plus de quarante ans, du lendemain de la Seconde Guerre mondiale à l'aube d'un nouveau millénaire, la RDA a pourtant présenté une identité allemande radicalement différente de tout ce qui l'avait précédée, et de tout ce qui existe aujourd'hui. Solidarité socialiste, police secrète, planification centrale, barbelés : c'était une Allemagne forgée sur les lignes de fracture d'une idéologie et de la géopolitique de la guerre froide. De l'expérience amère des marxistes allemands exilés en URSS sous le nazisme, futurs ténors du régime est-allemand, en passant par la construction du mur de Berlin en 1961, la relative prospérité des années 1970, et toutes les facettes de la vie quotidienne au-delà du Mur, jusqu'à l'effondrement des fondations du socialisme au milieu des années 1980, Katja Hoyer retrace l'histoire de la RDA et affirme qu'en dépit de l'oppression et des difficultés fréquentes, l'Allemagne de l'Est abritait un paysage politique, social et culturel riche, loin de la caricature régulièrement dessinée à l'Ouest pendant la guerre froide. Avec force détails et s'appuyant sur un large éventail d'interviews, de lettres et d'archives inédites, Katja Hoyer livre une histoire définitive et profondément incarnée de la RDA, déjà best-seller à l'international.
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Katja HOYER – Au-delà du mur, Histoire de la RDA
Katja HOYER – Au-delà du mur, Histoire de la RDA Édition originale publiée en 2023 sous le titre Beyond the Wall, édition Penguin Press Traduction par Martine DEVILLERS-ARGOUARC’H, éditions Passés composés / Humensis janvier 2025, 429 pages Un beau livre d’histoire, où transparaît derrière la lucidité de l’historienne une réelle empathie de l’auteure à l’égard de ceux qu’elle fait revivre. Livre d’histoire et livre d’histoires : l’auteure entremêle des tranches de vie individuelles avec une vision globale des relations géopolitiques de ce petit État avec le reste du monde, et particulièrement avec son suzerain l’Union soviétique. Il en résulte une lecture agréable et facile. L’auteure décrit le long refus de l’Union soviétique à la constitution d’un État RDA, le rêve que la partie orientale de l’Allemagne soit le creuset d’une unité allemande socialiste. Puis la déception quand, en mai 1949, les zones américaine, anglaise et française devinrent la République fédérale. La réponse fut la constitution de la République démocratique d’Allemagne [RDA) en octobre de la même année. Elle ne nous cache rien de la dictature d’un seul homme, d’abord Walter Ulbricht puis Erich Honecker ; rien de la coupure progressivement établie entre les équipes dirigeantes et le peuple ; rien non plus du poids exercé par la Stasi, surveillance qui tente de contrôler les esprits autant que les faits et gestes. Mais elle fait aussi apparaître la fierté de ce peuple et son attachement à cette société socialiste qui a su faire ce que l’Occident ne parvenait pas à réaliser : donner du travail à tout le monde, émanciper les femmes, faire fonctionner l’ascenseur social. À l’occasion de deux visites à Berlin-Est à la fin des années 60, j’avais moi-même perçu, de la part de personnes très éloignées des sphères du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED, Sozialistische Einheitspartei Deutschlands), ce double sentiment sans en comprendre complétement les raisons : d’une part une fierté identitaire et le ferme rejet de la société consommatrice de l’Ouest, d’autre part la souffrance de ne pas avoir la permission d’aller dans l’autre Berlin, ne serait-ce que pour une promenade. Elle explique bien les raisons qui ont conduit en 1961 à la fermeture de la frontière entre les deux Berlin. Dépourvu de ressources énergétiques, dévasté par les prélèvements de l’Union soviétique sur la production de ses usines, ce petit État (16,5 millions d’habitants) avait misé sur le potentiel humain, en effectuant un considérable effort de formation. Et voilà que, tonneau des Danaïdes, ce potentiel humain était pillé, soit par l’Union soviétique qui réclamait des travailleurs qualifiés pour les envoyer dans l’Oural, soit par l’attraction salariale de l’Ouest accentuée par la propagande américaine : trois millions d’Allemands de l’Est passés à l’Ouest, dont « 7 500 médecins, 1 200 dentistes, un tiers des chercheurs, des centaines de milliers d’ouvriers et techniciens coûteusement formés » (page 167). Le choix était entre verrouiller la porte ou déclarer l’État en faillite. L’auteure montre que cette fermeture, initialement mal vécue par les Allemands de l’Est, n’a pas profondément atteint leur sentiment patriotique d’appartenir à une belle nation. Elle décrit bien la quasi-réussite des années 1970-1980, plein emploi, réussite économique, reconnaissance internationale progressive, renforcement de la fierté patriotique, développement des relations entre les deux Allemagnes. Puis la progressive dégringolade de la décennie 80-90, due notamment à la crise économique russe (guerre en Afghanistan, course aux armements) : décision de l’URSS de vendre son pétrole sur le marché libre pour faire rentrer des devises et, par suite, blocage de ses ventes à la RDA ; pression accrue sur les travailleurs allemands pour pallier la crise ; baisse de pouvoir d’achat. Incapacité des dirigeants vieillissants d’entendre la souffrance de la population, incapacité enfin de comprendre la révolution induite par Mikhaïl Gorbatchev à partir de son arrivée au pouvoir en 1985. Le récit historique s’arrête pratiquement à la chute du mur de Berlin. Il fait apparaître la soudaine accélération d’une « réunification » le ministre idéologue Wolfgang Schäuble voulait immédiate, et que le chancelier Helmut Kohl, après avoir voulu l’étaler sur plusieurs années, a soudainement accélérée par opportunisme électoral pour faire oublier la montée du chômage ouest-allemand. L’auteure se contente de mentionner, sans la détailler, l’effrayante prédation effectuée alors par l’Ouest. Un regret toutefois selon moi : l’auteure ne donne pas d’éclairage sur les mécanismes économiques. Si elle montre bien les dégâts générés par les prélèvements de l’URSS, les difficultés liées à l’absence de ressources énergétiques et la soumission à l’importation de pétrole russe, elle ne dit pas grand-chose des processus qui ont permis à la RDA d’être pendant plusieurs décennies parmi les économies les plus florissantes des pays de l’empire soviétique. On sort de la lecture de ce livre avec un sentiment de gâchis. 35 ans après cet événement qui fut plus une annexion qu’une « réunification », on peut se demander si l’Europe n’a pas fait fausse route en laissant faire ce gâchis. Aurait-il été possible d’associer le libre individualisme consommateur de la RFA et la fierté productrice d’une RDA qui, malgré son manque de ressources et malgré le poids de l’impérialisme soviétique, avait su construire une nation moins consommatrice, mais peut-être plus fraternelle ?
PMD - Le 05 décembre 2025 à 14:20